Françoise Gilot, qu'on connait surtout pour avoir été la compagne de Picasso pendant 10 ans, est aussi et surtout peintre. Elle a 100 ans aujourd’hui, l’occasion pour nous de revenir sur son oeuvre et sa vie hors du commun.
Chez ma-tisse, nous avons toutes les trois été guides au musée Picasso: on connait bien l'artiste et l'homme, le génie et son côté sombre. Mais on ne parle que trop rarement des femmes qui l'ont entouré autrement que pour commenter ses oeuvres ou sa biographie. Françoise Gilot fait partie de ces femmes.
Elle a elle-même raconté sa vie, du moins sa jeunesse, dans un ouvrage autobiographique publié pour la première fois en 1964, Vivre avec Picasso, dans lequel elle raconte les dix ans qu’elle a passé auprès de Picasso (on vous en recommande vivement la lecture !).
Née en 1921 à Neuilly-sur-Seine, sa mère, elle-même artiste (elle était céramiste), l’encourage dans cette voie. Mais c’est pour son père qu’elle commence d’abord des études de droit. Pendant l’occupation, elle est arrêtée pour avoir déposé des fleurs sur la tombe du soldat inconnu. Elle abandonne ensuite ses études pour se consacrer à l’art. Elle étudie et expose ses oeuvres.
Ci-contre: Autoportrait en noir, 1943, huile sur toile, 73 x 60 cm, Collection Francoise Gilot, New York
Elle rencontre Pablo Picasso, de 41 ans son ainé, en mai 1943 dans un restaurant parisien, non loin de l’Atelier des Grands Augustins qu’il occupait alors. Picasso fait en sorte qu’elle mette sa carrière de peintre au second plan pour se consacrer à lui, si bien qu’elle ne peint quasiment pas pendant les années où elle a vécu avec lui. Elle ne fit que des dessins, aussi exigeants dans la technique que la peinture à l’huile, mais plus légers et pratiques dans sa vie quotidienne.
Deux enfants naissent de sa relation avec Picasso: Claude en 1947 et Paloma en 1949. En 1953, après dix ans de relation toxique, elle parvient à quitter Picasso. Elle est la seule, parmi les nombreuses maîtresses du peintre, à être partie. Elle raconte qu’il lui dit alors: « personne ne quitte un homme comme moi » (alors qu’il entretenait déjà une autre relation avec celle qui allait devenir sa dernière compagne et épouse, Jacqueline Roque). A la suite de cette relation et surtout à la suite de la publication de son livre, Picasso utilisa son aura et son réseau pour faire en sorte qu’elle ne puisse ni exposer ni être reconnue comme artiste en France, et c’est pour cette raison qu’elle s’installe aux Etats-Unis dans les années 1960, avec son second mari Luc Simon, lui aussi peintre. Et depuis elle y vit toujours et a construit sa carrière d’artiste là-bas.
Françoise Gilot pose le problème de ces femmes qui ont gravité autour de Picasso, et qui ne sont définies qu’en fonction de lui. Si elle est connue comme la seule a l’avoir quitté, à être partie en parvenant à se libérer de son joug (elle parle dans son livre à propos de Picasso d’un « syndrome de Barbe-Bleue » …), elle mérite qu’on s’intéresse à ce qu’elle a fait ensuite, loin de Picasso qui a tenté de l’en empêcher.
Françoise Gilot, c'est MeToo. Elle affirme je ne suis pas qu'une créature, je suis une créatrice. Je ne suis pas un objet de peinture, je suis un sujet, je suis peintre.
Annie Maïllis, biographe et amie de Françoise Gilot
Françoise Gilot est presque complètement oubliée en tant qu’artiste, au moins en France, où elle est bien trop souvent seulement réduite à une des compagnes de Picasso. Ceci est bien dommage dans la mesure où elle n’a vécu aux côtés du peintre qu’une dizaine d’année. Aux États-Unis en revanche, où elle a vécu une grande partie de sa vie, elle a su se faire une place en tant qu’artiste.
Ses œuvres, logiquement marquées par l’influence de celles de Picasso, dont elles reprennent un certain nombre d’éléments formels, sont, contrairement à celles du maître, dénuées de toute agressivité, préférant aux lignes anguleuses de Picasso des formes organiques et souples. En 1952 elle connait un beau succès en exposant à la Galerie Louise Leiris une série de natures mortes, ses « Cuisines », dans lesquelles elle s’inspirait des objets de son quotidien dans la maison de Vallauris.
Au cours des années suivantes, ses tableaux combinent les influences de Fernand Léger et d’Henri Matisse, à un moment où elle tente de s’émanciper de Picasso. Son départ aux Etats-Unis marque une rupture dans son oeuvre, où l’abstraction et le travail autour de la couleur joue alors un grand rôle.
Peinture à l’huile, dessin, monotypes – traduisent la diversité de la personnalité de Françoise Gilot :la spontanéité et la légèreté, l’expression sans retenue ni ordonnancement, vivantes dans les monotypes ; la maîtrise, la précision, la réflexivité sensibles dans les huiles, enfin la décantation du réel saisi par le crayon dans les dessins.
Annie Maïllis
En ce moment se tient une exposition au musée Estrine de Saint-Remy-de-Provence (visible jusqu’au 23 décembre), qui propose une réhabilitation de l’oeuvre de Françoise Gilot, exposant les dessins et peintures de ses années françaises.
Pour en savoir plus sur Françoise Gilot:
Un livre: Françoise Gilot et Carlton Lake, Vivre avec Picasso, 10-18, Paris, 2006
Un podcast: Picasso, séparer l’homme de l’artiste, Julie Beauzac, Venus s’épilait-elle la chatte, mai 2021
Un documentaire: Picasso et Françoise Gilot, la femme qui dit non, documentaire Arte, 2021
[En anglais] Un article du New Yorker: How Picasso’s muse became a master, Alexandra Schwartz, juillet 2019